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J'ai décidé d'apporter mon soutien

Mon pays est endeuillé, depuis près de trois décennies jusqu’à nos jours, par de multiples conflits armés avec leur lot de victimes innombrables de massacres, d’exécutions sommaires, de viols, de pillages, etc. Et malgré l’ampleur inouïe de cette hécatombe, il règne un silence pesant, assourdissant. Aucune recherche satisfaisante pour faire établir la vérité sur ces violences multiformes, aucune poursuite judicaire pour sanctionner les auteurs présumés des crimes commis, aucune réparation pour les victimes de ces exactions, aucune véritable réforme institutionnelle, des services de sécurité, de la justice, garantissant que ces atrocités ne se répéteront pas à l’avenir. Et donc le risque d’oublierces violences, de les banaliser, de s’y familiariser,ce qui ne peut que faciliter leur renouvellement, parfois par les mêmes auteurs.

Heureusement des voix s’élèvent de plus en plus pour briser ce silence autour de ces crimes de guerre, de ces crimes contre l’humanité, de ce possible génocide.Les voix de proches des victimes qui, de plus en plus souvent ces derniers temps, se rassemblent, courageusement, sur les lieux des crimes, pour commémorer le triste anniversairede la mort, de la disparition, de leur père, mère, frère, sœur, ami, etc. lors des massacres de Makobola, Kasika, Kisangani et de tant d’autres encore.Comme je l’ai déclaréà Oslo, lors de mon discours de réception du Prix Nobel de la Paix, « un rapport est en train de moisir dans le tiroir d’un bureau à New York. Il a été rédigé à l’issue d’une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés au Congo. Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates mais élude les auteurs. Ce Rapport du Projet Mapping établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains, décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité et peut-être même des crimes de génocide. Qu’attend le monde pour qu’il soit pris en compte ? »

J’ai donc décidé de soutenir l’initiative courageuse d’un groupe de jeunes congolais(e)s, épris de paix et de justice, qui ont voulu joindre leurs voix à celles de ceux qui ne veulent pas oublier, qui veulent se souvenir, connaître la vérité, obtenir justice et réparation, qui clament « Plus jamais ça ! ». Ils se sont posé la question : comment pouvons-nous, individuellement et collectivement, raviver la mémoire de nos frères, nos sœurs, parents, amis, voisins, disparus,morts à cause des conflits armés.Ils ont décidé de construire un mémorial. Non pas un monument fait de ciment et de briques etd’une plaque portant les noms des victimes d’un des massacres, même si je pense que cet acte de mémoire est toujours indispensable et essentiel partout où les crimes ont été commis. Avec l’enthousiasme de leur jeunesse, ils ont voulu construire un mémorial virtuel (digital ou numérique) sous la forme d’un site web et d’un calendrier qui nous rappelle, presque quotidiennement, les « incidents », selon la terminologie utilisée par le Rapport Mapping, c’est-à-dire les massacres, les exécutions sommaires, les viols, les pillages, les recrutements d’enfants soldats, etc. Grâce à ce mémorial presque chaque jour des 365 que compte notre calendrier, apparaitra sur l’écran denos ordinateurs, laptops ou smartphones, et, si vous le voulez, dans votre boite mail, le ou les paragraphes du Rapport Mapping décrivant le ou les incidents qu’a connu cette date, dans une des années allant de 1993 à 2003, période couverte par ce rapport.

Mais se souvenir ne suffit pas. Ces crimes ne peuvent rester impunis ! . Je suis convaincu, comme les jeunes initiateurs de ce mémorial, que la réponse appropriée à cet héritage douloureux de violences et de crimes est la mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle à savoir, les poursuites pénales, l’établissement de la vérité, les réparations pour les victimes et les réformes institutionnelles pour empêcher que de tels crimes ne puissent se reproduire en RDC.Ayons le courage de jeter un regard critique et impartial sur les événements qui sévissent depuis trop longtemps dans la région des Grands Lacs . Pour reprendre mon Appel d’Oslo : « Ayons le courage de révéler les noms des auteurs des crimes contre l’humanité pour éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région. Ayons le courage de reconnaître nos erreurs du passé. Ayons le courage de dire la vérité et d’effectuer le travail de mémoire », et j’ajoutais : « Au nom de toutes les veuves, tous les veufs et des orphelins des massacres commis en RDC et de tous les Congolais épris de paix, j’appelle la communauté internationale à enfin considérer le Rapport du Projet « Mapping » et ses recommandations. »

Ce calendrier des crimes commis est donc aussi un « agenda » qui nous aide à garderen mémoire les choses que nous avons à faire : agir pour que soient enfin mis en œuvre en RDC les mécanismes de la « justice transitionnelle », de poursuite judiciaire, de recherche de la vérité, de réparation et de réforme institutionnelle, agir pour que les auteurs présumés des crimes commis aient à répondre de leurs actes et, dans la poursuite de cet objectif, agir pour que soit levé l’embargo sur la base de données du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, actuellement gardée confidentielle, identifiant les présumés auteurs des 617 incidents violents documentés dans le « Rapport du projet Mapping. Je le répète à nouveau : « Que le droit soit dit.Cela permettrait au peuple congolais d’enfin pleurer ses morts, faire son deuil, pardonner ses bourreaux, dépasser sa souffrance et se projeter sereinement dans le futur ».J’aidonc décidé d’apporter mon soutien à ce mémorial virtuel pour que ces innombrables victimes ne soient pas oubliées, pour mettre un nom, un visage, une histoire, un témoignage sur chacune des victimes. Ce mémorial est un appel à la conscience individuelle et collective, un processus de rappel et de mémoire douloureux mais impérieux, un devoir sacré pour l’humanité, pour l’africain et surtout pour tout(e) congolais(e)

Dr. Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix

Dr. Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix.

un rapport est en train de moisir dans le tiroir d’un bureau à New York. Il a été rédigé à l’issue d’une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés au Congo. Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates mais élude les auteurs. Ce Rapport du Projet Mapping établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains, décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité et peut-être même des crimes de génocide. Qu’attend le monde pour qu’il soit pris en compte ?

—Dr. Denis Mukwege
Prix Nobel de la Paix.

Ayons le courage de révéler les noms des auteurs des crimes contre l’humanité pour éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région. Ayons le courage de reconnaître nos erreurs du passé. Ayons le courage de dire la vérité et d’effectuer le travail de mémoire », et j’ajoutais : « Au nom de toutes les veuves, tous les veufs et des orphelins des massacres commis en RDC et de tous les Congolais épris de paix, j’appelle la communauté internationale à enfin considérer le Rapport du Projet « Mapping » et ses recommandations.

—Dr. Denis Mukwege
Prix Nobel de la Paix.