Calendrier des crimes impunis en RDC : Incident du 20 Juin 2003

Les 7 et 20 juin 2003, des éléments du FNI ont tué un nombre indéterminé de civils hema, estimé à 137 selon certaines sources, dans le village de Katoto de la collectivité de Bahema–Nord, dans le territoire de Djugu. Les victimes ont été tuées à l’arme blanche ou par balle. Les corps ont été enterrés dans une trentaine de fosses communes. Les miliciens ont aussi mutilé plusieurs personnes, pillé le village et incendié des maisons. Katoto a été choisi comme cible en raison de la présence dans le village de positions de l’UPC et du PUSIC778.

Ituri

Actuelle(s) province(s) :
Ituri

Contexte dans lequel s'est déroulé l'incident

La marque bleue indique le paragraphe de référence dans le Rapport Mapping

404. Au cours du second semestre 2000, le conflit latent entre le Président du RCDML, Wamba dia Wamba, et ses deux principaux lieutenants, le Nande Mbusa Nyamwisi715 et le Hema John Tibasima716, a éclaté au grand jour. Depuis longtemps déjà, Wamba dia Wamba reprochait à Nyamwisi et Tibasima de chercher à instrumentaliser le conflit communautaire entre Hema et Lendu717 afin d’asseoir leur pouvoir dans le district et de contrôler les ressources naturelles de la région. En août 2000, Wamba dia Wamba avait tenté de reprendre le contrôle du mouvement en démettant de leurs fonctions Nyamwisi et Tibasima, mais ces derniers avaient résisté et les incidents sur le terrain s’étaient multipliés entre les différentes factions de l’APC. Après plusieurs vaines tentatives de médiation de la part de l’Ouganda et une série d’affrontements en plein coeur de Bunia, Wamba dia Wamba est parti en exil à Kampala en décembre, laissant la direction du RCD-ML à Nyamwisi et Tibasima.

405. En janvier 2001, l’Ituri a connu un regain de violence dans le territoire de Djugu. Entre janvier et février, des miliciens hema en provenance de Bogoro, généralement accompagnés de militaires hema de l'APC et de militaires de l’UPDF ont mené des attaques indiscriminées dans la collectivité des Walendu Tatsi, voisine de la collectivité de Bahema-Nord, tuant un nombre indéterminé de civils lendu.

406. Fin 2000, le conflit entre Hema et Lendu a fini par atteindre le territoire d’Irumu. Les militaires de l’UPDF ont apporté leur soutien aux communautés hema locales et des incidents violents ont éclaté sur le terrain.

407. Après le bombardement de la collectivité de Walendu Bindi par un hélicoptère de l'UPDF, des miliciens ngiti, d’origine commune avec les Lendu de Djugu en provenance de la collectivité de Walendu Bindi ont, le 19 janvier 2001, lancé une attaque contre les positions de l’UPDF à l’aéroport de Bunia. Au cours de l’attaque, les miliciens ngiti ont tenté de détruire l’hélicoptère qu’avait utilisé l'UPDF pour bombarder leurs villages. L’UPDF a fini par repousser l’attaque mais au prix d’importantes pertes en vies humaines.

408. Afin de ramener le calme en Ituri et d’éviter de nouvelles fragmentations au sein du RCD-ML, l’Ouganda a contraint le RCD-ML et le MLC à se regrouper au sein d’un nouveau mouvement, le Front de libération du Congo (FLC) présidé par Jean-Pierre Bemba726. Le 6 février 2001, le FLC a organisé des consultations avec les chefs traditionnels de l’Ituri et le 17 février, ces derniers ont signé un protocole d’accord prévoyant notamment une cessation immédiate des hostilités, le désarmement des miliciens et le démantèlement des camps d’entraînement727. Au cours des mois qui ont suivi, le nombre de violations a diminué sensiblement. Toutefois, les tensions intercommunautaires sont restées fortes sur le terrain et les milices ont continué de s’armer.

409. À compter de février 2002, sur fond de rivalités économiques grandissantes entre les hommes d’affaires hema et nande et de désaccords concernant les nouvelles orientations stratégiques prises par le Mouvement735, le Ministre de la défense du RCDML, Thomas Lubanga, et les militaires hema de l’APC ont rompu avec le RCD-ML pour former un groupe politico-militaire hema, l’Union des patriotes congolais (UPC). En réaction, Mbusa Nyamwisi et les officiers nande de l’APC soutenus par certains membres de l’UPDF ont réduit l’influence des Hema dans le district736, intensifié leur coopération avec les FAC737 et encouragé les miliciens lendu et ngiti à se regrouper au sein de groupes politico-militaires, le Front National Intégrationiste (FNI)738 et les Forces de résistance patriotique en Ituri (FRPI)739. Au cours de 2002, ces différents groupes armés ont reçu d’importants stocks d’armements en provenance d’Ouganda et du Gouvernement de Kinshasa.

410. En juin 2002, face à l'avancée des miliciens lendu dans la collectivité de Banyali- Kilo du territoire de Djugu, le Conseil de sécurité local de la ville de Mongwalu a décidé de chasser ou d'éliminer les Lendu vivant dans la ville.

411. Début août 2002, des éléments de l’UPC, avec le soutien des troupes de l’UPDF, seraient parvenus à chasser des éléments de l’APC de la ville de Bunia.

412. Au cours des mois suivants, de violents combats ont éclaté sur plusieurs fronts entre, d’un côté, des éléments de l’UPC et de l’UPDF et, de l’autre, ceux de l’APC et du FNI-FRPI. Les deux coalitions ont pris pour cible les populations civiles sur la base de leur appartenance ethnique. De nombreux civils issus de tribus non belligérantes ont aussi été massacrés en raison de leur soutien réel ou supposé en faveur de l’un ou de l’autre camp. Nombre d’entre eux ont aussi été victimes de recrutement forcé au sein des différents groupes armés. Les régions minières situées au nord de Bunia, dont le contrôle était considéré comme stratégique par les différents groupes en présence ont été le théâtre de combats particulièrement violents.

413. Le 9 août 2002, après avoir dû quitter précipitamment Bunia, le Gouverneur Lopondo, les troupes de l’APC et les miliciens lendu et ngiti746 se sont installés à Komanda en vue de préparer la contre-offensive. De son côté, l’UPC a consolidé ses positions au sud de Bunia afin de prévenir la contre-attaque des éléments de l’APC et des FNI-FRPI et de placer sous son contrôle les ressources minières de la zone.

414. Entre octobre et décembre 2002, les affrontements entre les éléments des FNIFPRI et ceux de l'UPC se sont généralisés dans le territoire d’Irumu. Les troupes de l’UPC ont mené dans ledit territoire des opérations militaires majeures contre les bases des FRPI situées dans la collectivité de Walendu Bindi et les enclaves lendu de la collectivité de Bahema-Sud. Les fermiers bira vivant à Pinga, dans la localité de Songo du territoire d’Irumu ont également été attaqués, l’UPC les soupçonnant de financer le FNI et les FRPI.

415. À compter de septembre 2002, la signature d’un accord entre la RDC et l’Ouganda a offert de nouvelles perspectives de paix en Ituri. Outre le retrait des troupes de l’UPDF de Gbadolite et de Beni, l’accord prévoyait la création d’une Commission de pacification de l’Ituri et la mise sur pied d’une Administration intérimaire de l’Ituri (AII) en charge de gérer le district après le départ des militaires ougandais. Sur le terrain, cependant, loin de stabiliser la région, le rapprochement entre Kinshasa et Kampala a provoqué des reconfigurations d’alliances qui ont rendu la situation encore plus volatile. Comme mentionné précédemment, en octobre 2002, l'ALC, l’armée du MLC, et ses alliés du RCD-N ont lancé une grande opération à l'est de la province Orientale, appelée « Effacer le tableau ». Cette opération visait à détruire définitivement l'APC de façon à priver le Gouvernement de Kinshasa de son allié à l'est du Congo et à mettre la main sur les ressources naturelles encore sous contrôle du RCD-ML avant que ne débute la période de transition. L'UPC, qui cherchait elle aussi à écraser l'APC, s'est jointe à l'opération.

416. Le 12 octobre 2002, l'ALC et ses alliés du RCD-N sont entrés dans la ville de Mambasa. Le 29 octobre, cependant, ils ont dû battre en retraite avant de reprendre, le 27 novembre, la ville à l'APC. Au cours de ces attaques, les militaires de l'ALC (MLC et RCD-N) ont commis de nombreuses exactions à l’encontre des civils.

417. Après leur victoire sur l’APC à Mambasa, les éléments de l'ALC/RCD-N/UPC ont lancé, avec l'aide de militaires de l'UPDF, une grande opération militaire afin de prendre le contrôle de la ville minière de Mongwalu.

418. Le 30 novembre 2002, les troupes de l’APC, du FNI et des FRPI ont repris le contrôle des villes d’Irumu et de Komanda. À la suite du scandale suscité par la publicité organisée autour des actes de cannibalisme commis par les troupes de l'opération « Effacer le tableau », la communauté internationale a fait pression sur les responsables du MLC, du RCD-ML et du RCD-N pour qu'ils signent le 30 décembre 2002 à Gbadolite un accord de cessez-le-feu761. L’UPC qui, en décembre 2002, était parvenue à prendre le contrôle du village stratégique de Mwanga et à bloquer l'accès du nord de Bunia aux miliciens du FNI basés dans la région de Kilomoto, a cependant rejeté cet accord. Face au rapprochement entre le Gouvernement de Kinshasa et l'Ouganda et au retrait de l'ALC de l'Ituri, l'UPC a conclu une alliance avec le Rwanda qui lui a fait aussitôt parvenir de l’armement et des conseillers militaires sur le terrain. En réaction à l’arrivée des militaires rwandais dans la zone, l’Ouganda a mis fin à sa collaboration avec l’UPC et apporté son soutien aux milices lendu et à l’APC. Au cours du premier semestre de 2003, les combats entre l’UPC et les éléments du FNI, des FRPI, de l'APC et de l’UPDF se sont ainsi intensifiés et généralisés à travers tout le district.

419. Le 23 janvier 2003, l’UPC a officiellement demandé aux troupes de l'UPDF d'évacuer l'Ituri. En février, la Commission de pacification de l’Ituri a commencé ses travaux mais l'UPC a rejeté la mise en place des institutions intérimaires prévues par l'accord de septembre 2002. Le durcissement des positions de l’UPC et le conflit ouvert avec l’UPDF ont provoqué plusieurs scissions internes. Les miliciens hema-sud menés par le chef Kawa Mandro ont quitté l'UPC pour créer un nouveau groupe armé, le Parti pour l’unité et la sauvegarde de l’intégrité du Congo (PUSIC), avec le soutien de l'Ouganda. Dans les territoires de Mahagi et d'Aru, Jérôme Kakwavu a, lui aussi quitté l'UPC et créé, avec l’appui des militaires ougandais désireux de disposer d’un allié dans les zones riches en ressources forestières, les Forces armées du peuple congolais (FAPC).

420. Entre janvier et mars 2003, l’UPC a mené plusieurs offensives militaires afin de prendre le contrôle des zones minières situées autour de Mongwalu et Kobu763.

421. Le 6 mars 2003, après que l’UPC eut attaqué la base de l’UPDF à Ndele, à quelques kilomètres de Bunia, les militaires de l'UPDF et les éléments du FNI et des FRPI ont monté une opération militaire conjointe et repris le contrôle de la ville de Bunia.

422. Après la prise de Bunia, des éléments du FNI ont lancé une offensive majeure contre les bastions de l'UPC situés au nord de la ville.

423. Après le départ, sous forte pression internationale des troupes de l'UPDF du district de l’Ituri, début mai 2003, les troupes de l'UPC et du FNI se sont affrontées pour prendre le contrôle des lieux stratégiques laissés vacants par les militaires ougandais. Anticipant de nouveaux massacres, des milliers d’habitants de Bunia ont préféré quitter la ville. Certains ont suivi les troupes de l’UPDF jusqu’en Ouganda. D’autres ont fui en direction de Beni, au Nord-Kivu. Le 6 mai, de graves affrontements ont éclaté à Bunia entre les éléments du FNI placés sous les ordres de Mathieu Ngudjolo et ceux de l’UPC commandés par Bosco Ntaganda.

424. L’UPC a rapidement mené une contre-offensive et a finalement pris le contrôle de Bunia.

425. En réaction à ces massacres en chaîne et aux attaques menées contre les installations de la MONUC, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a demandé le 15 mai 2003 aux États Membres de former une coalition afin de mettre un terme à la catastrophe humanitaire et de permettre à la MONUC d’achever son déploiement à Bunia776. Le 16 mai, la Tanzanie a organisé un sommet au cours duquel le Président Kabila a rencontré les délégations de l’Administration intérimaire de l’Ituri et les chefs des principaux groupes armés. Devant la persistance des combats, le 30 mai, par sa résolution 1484 (2003), le Conseil de sécurité a autorisé le déploiement à Bunia d’une force multinationale intérimaire d’urgence sous commandement européen.

426. Le 31 mai 2003, le FNI et les Lendu de Datule ont lancé une offensive majeure contre le village de Tchomia alors sous contrôle des troupes du PUSIC. Cette attaque visait notamment à venger l’attaque perpétrée par le PUSIC sur Datule le 26 janvier 2002. En quelques heures à peine, les éléments du FNI ont chassé les troupes du PUSIC et détruit leurs camps militaires.

427. À compter du 6 juin 2003, la force multinationale intérimaire d’urgence a entamé son déploiement à Bunia. Au bout de quelques semaines, elle est parvenue à restaurer l’ordre dans la ville et à mettre un terme aux massacres ethniques. À l’extérieur de Bunia, cependant, les actes de violence se sont poursuivis. Des éléments du FNI, des FRPI et des FAPC ont lancé une série d'attaques contre les positions de l'UPC et du PUSIC dans les territoires de Djugu et d’Irumu. Ces violents affrontements ont donné lieu à de nombreux massacres de civils, pour la plupart d’ethnie hema.

428. Après le retrait des militaires de l’UPDF de la région minière de Mongwalu, en mars 2003, les troupes du FNI ont pris le contrôle de la zone. Le 10 juin, les troupes de l’UPC ont repris la ville de Mongwalu mais, au bout de 48 heures, les troupes du FNI ont lancé une contre-attaque, avec l’appui des éléments de l’UPDF.

429. Au cours de la période considérée, tous les groupes armés de l’Ituri (UPC, FNI, FRPI, FAPC et PUSIC) ont procédé au recrutement de milliers d’enfants sur une base communautaire.

 

715 Originaire du Nord-Kivu, Mbusa Nyamwisi était alors le Premier ministre du RCD-ML.

716 Ancien Directeur de la compagnie minière Okimo qui exploitait l’or de l’Ituri, John Tibasima était le Ministre de la défense du Mouvement.

717 Depuis 2000, Mbusa Nyamwisi et l’UPDF organisaient dans le camp de Nyaleke, à proximité de la ville de Béni, au Nord-Kivu, une formation militaire pour les miliciens lendu. De son coté, John Tibasima supervisait la formation en Ouganda et dans le camp de Rwampara, près de Bunia, de milliers de miliciens hema en vue de leur intégration dans l’APC.

726 L’armée du MLC, l’ALC, contrôlait déjà les districts des Haut-Uélé et Bas-Uélé.

727 Ce protocole d’accord comportait également diverses dispositions relatives à la réforme du système foncier et judiciaire local et à la lutte contre l’impunité.

736 Le Gouverneur Uringi a été remplacé par un Kasaïen, Jean-Pierre Molondo. L’évêque de Bunia, un Hema accusé d’avoir pris part au conflit ethnique, a, de son côté, été remplacé par un Nande.

737 À compter de 2002, les FAC ont mis en place à Nyaleke un état-major opérationel intégré (EMOI) avec les APC de Nyamwisi.

738 Le FNI a fédéré les milices des Lendu du territoire de Djugu.

739 Le FRPI a rassemblé les milices des Ngiti du territoire d’Irumu. Les Ngiti sont des populations apparentés aux Lendu mais néanmoins distinctes de ces derniers.

746 Ces derniers ne venaient pas de Bunia mais avaient été recrutés en route, au cours de leur fuite vers Beni, au village de Medu, à mi-chemin entre Bunia et Komanda.

761 Suite à l’opération « Effacer le tableau », le Gouvernement Kabila a écrit au Président du Conseil de sécurité pour lui demander la mise sur pied d’un Tribunal pénal international pour la RDC. Cette proposition a été appuyée par Jean-Pierre Bemba qui demandait en revanche qu’un tel tribunal soit compétent pour tous les crimes commis dans le pays depuis septembre 1996.

763 Entretiens avec l’Équipe Mapping; Ituri, avril 2009; Documents confidentiels remis à l’Équipe Mapping, avril 2009; Rapport spécial sur les événements d’Ituri (S/2004/573), MONUC.

766 Document remis à l’Équipe Mapping: Rapport sur la violation des droits humains commise pendant les attaques organisées contre la collectivité de Bahema-Sud de l’année 2001 à 2003, mars 2009; Rapport spécial sur les événements d’Ituri (S/2004/573), MONUC; Deuxième rapport spécial du Secrétaire général sur la MONUC (S/2003/566); Chambre préliminaire I de la CPI, 2 juillet 2007, Mandat d’arrêt contre Germain Katanga, ICC-01/04-01/07, Chambre préliminaire I de la CPI, « Amended Document Containing the Charges Pursuant to Article 61(3)(a) of the Statute », 26 juin 2008.

778 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Ituri, mars 2009; Rapport spécial sur les événements d’Ituri (S/2004/573), MONUC ; HRW, « Ituri: Couvert de sang», juillet 2003; documents remis à l’Équipe Mapping, avril 2009.

Déroulé entre Janvier 2001 – juin 2003 quand on tend vers la transition