
La marque bleue indique le paragraphe de référence dans le Rapport Mapping
17. La première période couvre les violations commises au cours des dernières années de pouvoir du Président Mobutu et est marquée par l’échec du processus de démocratisation et les conséquences dévastatrices du génocide survenu au Rwanda sur l’État zaïrois en déliquescence, en particulier dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud- Kivu. Au cours de cette période, 40 incidents ont été répertoriés. Les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire se sont concentrées pour l’essentiel au Katanga, au Nord-Kivu et dans la ville province de Kinshasa.
130. Au début des années 1990, sur pression de la population et des bailleurs de fonds, le Président Mobutu a été contraint de rétablir le multipartisme et de convoquer une conférence nationale. Au fil des mois cependant, il a réussi à déstabiliser ses opposants et à se maintenir au pouvoir en usant de la violence, de la corruption et en manipulant les antagonismes tribaux et régionaux. Les conséquences de cette stratégie ont été particulièrement lourdes pour le Zaïre: destruction des principales infrastructures, effondrement économique, déportationforcée de populations civiles au Katanga, violences ethniques au Nord-Kivu, exacerbation du tribalisme et banalisation à travers tout le pays des violations des droits de l’homme.
131. En 1994, après des mois de paralysie institutionnelle, partisans et adversaires du Président Mobutu ont fini par s’entendre sur la désignation par consensus d'un Premier ministre et la mise en place d’un parlement de transition. Cet accord n’a pas suffi cependant à régler la crise politique, à enrayer la criminalisation des forces de sécurité nià engager le pays sur la voie des élections. À partir de juillet 1994, l’arrivée de 1,2 millions de réfugiés hutu rwandais au lendemain du génocide des Tutsi du Rwanda a déstabilisé encore plus la province du Nord-Kivu et fragilisé celle du Sud-Kivu. Du fait de la présence parmi les réfugiés de membres des anciennes Forces armées rwandaises (appelée par la suite ex-FAR), ainsi que des milices responsables du génocide (les Interahamwe), et compte tenu de l’alliance existant depuis des années entre l’ancien régime rwandais et le Président Mobutu, cette crise humanitaire a rapidement dégénéré en une crise diplomatique et sécuritaire entre le Zaïre et les nouvelles autorités rwandaises.
132. Face à l’utilisation par les ex-FAR et les Interahamwe des camps de réfugiés comme arrière-bases pour mener des incursions au Rwanda, les nouvelles autorités rwandaises ont opté à partir de 1995 pour une solution militaire à la crise. Avec l’aide de l’Ouganda et des Tutsi du Nord-Kivu et du Sud-Kivu exclus du bénéfice de la nationalité zaïroise par le parlement de transition à Kinshasa, elles ont organisé une rébellionchargée de neutraliser les ex-FAR et les Interahamwe et de provoquer un changement de régime à Kinshasa.
133. Au cours de cette période, les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire se sont concentrées pour l’essentiel dans le Katanga, le Nord-Kivu et dans la ville province de Kinshasa.
134. Depuis plus d'un siècle, une importante communauté originaire des provinces des Kasaï s’étaitinstallée au Katanga88 pour construire, à l’appel des autorités coloniales belges, le chemin de fer et travailler dans les mines. À l’exception de la période de sécession (1960-1963) les originaires du Katanga89 et les originaires des Kasaï90 avaient toujours vécu en paix. Toutefois, sous le régime du Président Mobutu, les Katangais se sentaient politiquement marginalisés et reprochaient aux Kasaïens d’occuper trop d’emplois et de postes de direction, notamment dans la principale société minière, la Gécamines91. Après la libéralisation politique du régime, la plupart des déléguéskasaïens et katangais à la Conférence nationale souveraine (CNS) se sont regroupés au sein de la plate-forme de l’Union sacrée de l’opposition pour obtenir le départ du Président Mobutu du pouvoir. En novembre 1991, cependant, le Président Mobutu a obtenu des délégués katangais de l’Union des fédéralistes et républicainsindépendants (UFERI) qu’ils rompent avec la principale composante de l’Union sacrée, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) dirigée par ÉtienneTshisekedi. ...
151. Depuis des décennies, le poids démographique et économique croissant des
Banyarwanda108 était une source de tension avec les autres communautés du Nord-Kivu
(les Hunde, les Nyanga, les Tembo, les Kumu et les Nande)109. Présents de façon modeste dès avant le partage colonial de 1885, les Banyarwanda étaient devenus, sous l’effet de vagues migratoires successives, une importante communauté de la province. Leur dynamisme et le soutien de membres influents à Kinshasa leur avaient permis d’acquérir un grand nombre de terres et de têtes de bétail et de prendre le contrôle de plusieurs réseaux commerciaux importants. Cette emprise croissante sur la province était souvent mal vécue par les autres communautés. Ces dernières accusaient notamment les Banyarwanda de voler leurs terres avec la complicité de l’État central et de violer les droits ancestraux de leurs chefs coutumiers. Leur mécontentement était attisé par le fait que beaucoup de Banyarwanda n’étaient arrivés au Zaïre qu’au début des années 1930 et qu’ils n’avaient acquis la nationalité zaïroise qu’en vertu d’une loi contestée du 5 janvier
1972. Loin de clarifier la situation, l’abrogation de cette loi par le Président Mobutu au début des années 1980 avait créé la confusion sur le terrain et relancé la polémique. En effet, les Banyarwanda avaient pu conserver leur carte d’identité zaïroise ainsi que leurs titres fonciers. Mais les autres communautés les considéraient comme des réfugiés et des immigrés dont les titres de propriété étaient sans valeur par rapport aux droits ancestraux détenus par les nationaux. ...
168. Entre mars 1993 et juin 1996, la répression contre les opposants politiques au régime du Président Mobutu a été particulièrement brutale, en particulier à Kinshasa. Les forces de sécurité sur lesquelles le Président Mobutu exerçait un contrôle direct auraient commis beaucoup d’exécutions sommaires et extrajudiciaires. Elles ont fait disparaître, torturé et violé un grand nombre de civils137. Elles ont également commis de nombreux actes de pillages. L’impunité généralisée dont elles ont bénéficié laisse supposer que les plus hautes autorités de l’État couvraient leurs actions, voire les favorisaient, afin de déstabiliser leurs opposants. ...
174. Au cours de cette période, certaines provinces ont connu un processus de démocratisation chaotique accompagné d’une montée de la xénophobie qui s’est soldée par des persécutions contre les « non-originaires » et des actes de violences à l’encontre des opposants. Le bras de fer politique entre le Président Mobutu et Étienne Tshisekedi de l’UDPS et la manipulation du sentiment régionaliste et tribaliste par les acteurs politiques locaux ont donné lieu à de nombreux abus et actes de violences à l’encontre des opposants et des non originaires dans les différentes provinces. ...