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Comment est ce qu'il y a eu massacres entre Juillet 1996 – juillet 1998 à (au) Sud-Kivu ?

La marque bleue indique le paragraphe de référence dans le Rapport Mapping

B. Attaques contre les réfugiés hutu

1. Province - Sud-Kivu

194. Après les massacres survenus au Burundi fin 1993178 et la prise de pouvoir par le FPR au Rwanda en 1994, plusieurs centaines de milliers de réfugiés hutu burundais et rwandais ainsi que des éléments ex-FAR/Interahamwe et des rebelles burundais du CNDD-FDD avaient trouvé refuge dans la province du Sud-Kivu. Fin 1994, les éléments ex-FAR/Interahamwe ont multiplié les incursions, parfois meurtrières, au Rwanda afin de reprendre le pouvoir par la force. À partir de 1995, l’Armée patriotique rwandaise (APR) a mené au moins deux raids au Zaïre afin de les neutraliser.

Territoire d’Uvira

196. En 1996, l’UNHCR estimait à 219 466 le nombre de réfugiés dans le territoire d’Uvira, pour les deux tiers de nationalité burundaise181. Ces réfugiés étaient repartis dans les onze camps situés le long de la rivière Ruzizi: Runingu, Rwenena, Lubarika, Kanganiro, Luvungi, Luberizi (camp situé entre Mutarule et Luberizi), Biriba, Kibogoye, Kajembo, Kagunga et Kahanda. Bien que dans certains camps, les réfugiés civils cohabitaient avec des éléments ex-FAR/Interahamwe (par exemple, dans le camp de Kanganiro) ou ceux du CNDD-FDD (par exemple, dans le camp de Kibogoye), l’immense majorité des réfugiés étaient des civils non armés.

197. Après la création officielle de l’AFDL le 18 octobre 1996, les troupes de l’Alliance appuyées par celles de l’APR et des FAB (Forces armées burundaises) ont attaqué le village de Bwegera. Après avoir pris le contrôle du village, le 20 octobre, les militaires se sont divisés en deux colonnes, la première partant vers Luvungi en direction du nord et la seconde vers Luberizi en direction du sud. Au cours de leur progression, les militaires de l’AFDL/APR/FAB auraient mené des attaques généralisées et systématiques contre les onze camps de réfugiés rwandais et burundais installés dans le territoire. De nombreux témoins ont affirmé que ces attaques se sont déroulées alors que la plupart des éléments des ex-FAR/Interahamwe et ceux du CNDD-FDD avaient depuis quelques jours déjà quitté la zone.

198. Après la prise de la ville d’Uvira dans la nuit du 24 au 25 octobre 1996 et la mise en déroute des FAZ sur pratiquement tout le territoire d’Uvira, les réfugiés burundais et rwandais se sont enfuis dans plusieurs directions. Certains sont partis dans le territoire de Fizi puis ont atteint le Nord-Katanga, la Tanzanie ou la Zambie. D’autres ont tenté de fuir vers le nord en passant par les territoires de Kabare et Walungu. De nombreux réfugiés burundais se sont enfuis en direction du Burundi. Ne pouvant pas traverser la rivière Ruzizi, ils ont souvent été appréhendés au niveau de la sucrerie de Kiliba et des villages de Ndunda, Ngendo et Mwaba.

199. Les militaires de l’AFDL/APR/FAB ont érigé de nombreuses barrières sur la plaine de la Ruzizi, autour des villages de Bwegera, Sange, Luberizi, Kiliba, à l’entrée d’Uvira cité (Port de Kalundu), au niveau de Makobola II (dans le territoire de Fizi) et à celui du ravin de Rushima (territoire d’Uvira). Au niveau de ces barrières, les militaires auraient trié les personnes interceptées en fonction de leur nationalité sous prétexte de préparer leur retour dans leur pays d’origine. Les personnes identifiées comme Hutu rwandais ou burundais sur la base de leur accent, de leurs caractéristiques morphologiques ou de leur habillement ont été systématiquement séparées des autres personnes interceptées et tuées dans les environs.

Territoires de Walungu et de Kabare

200. En 1996, le HCR estimait le nombre de réfugiés dans les camps des territoires de Walungu, Kabare et Kalehe, communément appelés « les camps de Bukavu » à 307 499 personnes, reparties entre 26 camps: Kamanyola, Izirangabo, Karabangira, Nyangezi (Mulwa), Nyantende, Muku et Mushweshwe au sud de Bukavu, Bideka, Chimanga (Burhale), Bulonge (un camp non reconnu par le HCR), Nyamirangwe et Chabarhabe à l’ouest de la ville, Panzi, Nyakavogo, Mudaka/Murhala, INERA [Institut national pour l’étude et la recherche agronomique], ADI-Kivu [Action pour le développement intégré au Kivu], Kashusha, Katana, Kalehe, Kabira, au nord de Bukavu et Chondo, Chayo, Bugarula, Maugwere et Karama sur l’île d’Idjwi200.

201. Au cours de leur progression vers Bukavu, les troupes de l’AFDL/APR ont détruit les camps de fortune construits par les réfugiés rescapés des massacres commis dans la plaine de la Ruzizi (territoire d’Uvira) et à l’ouest de la ville de Bukavu. À partir du village de Nyantende, les troupes de l’AFDL/APR se sont divisées en deux groupes. Un premier groupe a poursuivi en direction de Bukavu en passant par Buhanga, Mushweshwe, Comuhini, Chabarhabe, Ciriri et Lwakabirhi; un autre a pris la direction de Walungu-centre en passant par Muku, Cidaho et Cidodobo.

202. À partir du 22 octobre 1996, devant l’avancée des troupes de l’AFDL/APR, les réfugiés des camps de Nyangezi et Nyantende ont commencé à fuir en direction de Bukavu. À partir du 26 octobre 1996, les militaires ont lancé des attaques contre les camps situés au sud et à l’ouest de la ville de Bukavu. Dans la plupart des cas, les réfugiés avaient déjà quitté les camps avant l’arrivée des militaires pour fuir en direction des camps de Kashusha, INERA et ADI-Kivu (au nord de Bukavu) et Chimanga (à l’ouest de Bukavu en direction de Shabunda). Le 26 octobre, des militaires de l’AFDL/APR ont incendié le camp déjà abandonné de Muku, à 10 kilomètres de Bukavu dans le territoire de Walungu.

203. Après la prise de Bukavu le 29 octobre 1996, les troupes de l’AFDL/APR ont continué leurs opérations contre les camps situés au nord de la ville.

Territoire de Kalehe

204. Après la prise de Bukavu par les troupes de l’AFDL/APR et la destruction des camps de réfugiés au nord de la ville, les rescapés se sont enfuis en direction du Nord-Kivu. Ils sont passés soit par le parc national de Kahuzi-Biega (en direction de Bunyakiri/Hombo) soit par Nyabibwe, sur la route de Goma. Les réfugiés qui sont arrivés à Nyabibwe n’ont cependant pas pu atteindre la province du Nord-Kivu car ils ont été pris en étau par les troupes de l’AFDL/APR qui arrivaient de Goma et de Bukavu.

205. La majorité des réfugiés qui étaient bloqués à Nyabibwe ont tenté d’atteindre Bunyakiri et Hombo en passant par les Hauts Plateaux de Kalehe. Un groupe s’est installé dans des camps de fortune au niveau de Shanje et Numbi. Poursuivis par les militaires de l’AFDL/APR, de nombreux réfugiés ont été tués dans ces camps de fortune et au niveau de Chebumba et Lumbishi, dans le territoire de Kalehe.

206. La plupart des rescapés de Shanje ont fui par la forêt de bambous de Rukiga. Au niveau du village de Hombo, ils ont rejoint les rescapés du camp de Kashusha/INERA qui cherchaient à atteindre la province du Nord-Kivu en passant à travers le parc national de Kahuzi-Biega.

Territoire de Shabunda

207. De nombreux réfugiés rescapés des camps d’Uvira et de Bukavu ont tenté de fuir en passant par le territoire de Shabunda. Ces réfugiés ont pris l’ancienne route reliant Bukavu à Kindu en passant par les villages de Chimanga, Kingulube, Katshungu et Shabunda, situés respectivement à 71, 181, 285 et 337 kilomètres à l’est de Bukavu. Vers la mi-décembre 1996, 38 000 réfugiés étaient enregistrés dans trois camps de fortune dans les environs de Shabunda: Makese I, Makese II et Kabakita (connus aussi sous le nom de Kabakita I, Kabakita II et Kabakita III). Un nombre indéterminé de ces réfugiés, souvent les retardataires, ont été tués par les militaires de l’AFDL/APR sur la route de Shabunda. Des massacres ont été rapportés dans les villages de Mukenge, Baliga et Kigulube en janvier 1997. Dans la région, quelques combats sporadiques ont eu lieu entre des militaires de l’AFDL/APR, des FAZ et des ex-FAR/Interahamwe battant en retraite. Les victimes des éléments de l’AFDL/APR étaient pour la plupart des civils non armés212.

208. Les réfugiés qui ont pu s’enfuir à temps ont pris la direction de Kindu. D’autres ont cherché à partir en direction de Bukavu après avoir appris que le HCR avait ouvert une antenne à Kigulube. Plusieurs milliers de réfugiés ont pris cette direction en circulant dans la forêt par petits groupes de 50 à 100 personnes. Depuis janvier 1997, les militaires de l’AFDL/APR contrôlaient la zone et ils avaient érigé de nombreuses barrières le long des principaux axes routiers. Entre les mois de février et d’avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR auraient tué systématiquement les réfugiés passant par le village de Kigulube, les forêts environnantes et sur les 156 kilomètres de route séparant Kigulube et la cité de Shabunda.

209. Lorsqu’ils interceptaient des réfugiés à Kigulube, les militaires de l’AFDL/APR leur demandaient généralement de les suivre sous différents prétextes, notamment afin de les aider à pousser leur véhicule jusqu’à Mpwe. En cours de route, ils les auraient tué à coups de machette ou de couteau. En dépit des ordres donnés aux villageois de récupérer les corps des réfugiés, les ONG internationales et les témoins locaux ont pu observer sur les routes autour de Kigulube la présence de nombreux cadavres et de squelettes ainsi que des effets personnels ayant appartenu aux réfugiés. À plusieurs reprises, des membres d’organisations internationales ont assisté à des opérations de nettoyage entre Shabunda et Kigulube et conclu à la présence de fosses communes aux abords des cimetières de plusieurs villages et au niveau de plusieurs sites isolés le long de la route. Le nombre total de victimes est difficile à estimer mais il se chiffre à plusieurs centaines, voire plus d’un millier214.

210. Les tueries et les violations graves des droits de l’homme à l’encontre de réfugiés rwandais et burundais se sont poursuivies bien après la conquête militaire de la province par les troupes de l’AFDL/APR/FAB.

 

200 Office of the Regional Special Envoy of UNHCR, Kigali, Rwanda, Zaïre: « UNHCR population statistics as of 26 September 1996 ».

212 IRIN, « Emergency Update No. 60 on the Great Lakes », 17 décembre 1996.

214 Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; MSF, « L’échappée forcée: une stratégie brutale d’élimination à l'est du Zaïre », avril 1997, p. 8-10.