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Comment est ce qu'il y a eu massacres entre Juillet 1996 – juillet 1998 à (au) Sud-Kivu ?

La marque bleue indique le paragraphe de référence dans le Rapport Mapping

A. Attaques contre les civils tutsi et banyamulenge

1. Province - Sud-Kivu

181. Depuis les années 1980, la question de la nationalité des Tutsi vivant au Sud-Kivu était, comme celle des Banyarwanda au Nord-Kivu, un sujet de polémique. La plupart des Tutsi du Sud-Kivu affirmaient être des Zaïrois banyamulenge155, c'est-à-dire des descendants des Tutsi du Rwanda et du Burundi installés dans les Haut Plateaux des territoires d’Uvira et de Fizi avant le partage colonial de 1885. Les autres communautés considéraient à l’inverse que la plupart des Tutsi vivant au Sud-Kivu étaient des réfugiés politiques ou des immigrés économiques arrivés au cours du XXe siècle et ils leur contestaient le droit à la nationalité zaïroise. La décision prise en 1981 par le Président Mobutu d’abroger la loi de 1972 par laquelle il avait accordé la nationalité zaïroise de manière collective aux populations originaires du Rwanda et du Burundi présentes sur le territoire zaïrois avant le 1er janvier 1950 avait conforté la position des communautés dites « autochtones ». Depuis lors en effet, la suspicion quant à la nationalité réelle des Tutsi du Sud-Kivu était devenue générale et aucun député tutsi n’avait pu être élu dans la province. Comme au Nord-Kivu en 1989, la controverse sur la nationalité dite « douteuse » des Tutsi de la province avait d’ailleurs conduit au report des élections. Pour autant, en l’absence de conflit foncier majeur et eu égard à l’importance numérique relativement faible de la communauté banyamulenge et tutsi dans la province, la libéralisation politique du régime après 1990 n’avait pas débouché au Sud-Kivu sur le même degré de violence et de manipulation tribaliste qu’au Nord-Kivu.

182. À partir de 1993 cependant, l’arrivée dans la province des réfugiés et des groupes armés hutu burundais156 et rwandais157 et l’intégration après juillet 1994 de nombreux Banyamulenge et Tutsi du Sud-Kivu dans l’armée et l’administration du nouveau régime rwandais158 ont eu pour effet d’attiser le sentiment anti-banyamulenge et anti-tutsi chez de nombreux Sud-Kivutiens. Accusés d’être des agents des gouvernements rwandais ou burundais, de nombreux Tutsi étrangers mais aussi des Banyamulenge ont perdu leur emploi et ont subi des discriminations et des menaces. Le 28 avril 1995, le parlement de transition (HCR-PT) à Kinshasa a rejeté officiellement toute prétention des Banyamulenge à la nationalité zaïroise et a recommandé au Gouvernement de les rapatrier au Rwanda ou au Burundi, au même titre que les réfugiés hutu et les immigrés tutsi. Au cours des mois suivants, l’administration provinciale a confisqué de nombreuses propriétés appartenant aux Banyamulenge.

183. Dans une note rendue publique le 19 octobre 1995, les autorités du territoire d’Uvira ont affirmé que l’ethnie banyamulenge était inconnue au Zaïre et qu’à l’exception d’une dizaine de familles, tous les Tutsi vivants au Sud-Kivu étaient des étrangers. Le 25 novembre, à Uvira, les signataires d’une pétition dénonçant la persécution des Banyamulenge par les autorités zaïroises ont été arrêtés par les forces de sécurité. Dans les Hauts et Moyens Plateaux des territoires d’Uvira, de Fizi et de Mwenga, les populations bembe, dont les contentieux historiques avec les Banyamulenge159 n’avaient jamais été réglés, ont profité de ce contexte pour s’organiser en groupes armés et multiplier à leur encontre les actes d’intimidation et les vols de bétail. Face à cette situation, un nombre croissant de jeunes Tutsi et de Banyamulenge sont partis au Rwanda suivre une formation militaire au sein de l’APR. Certains sont revenus rapidement au Zaïre et ont créé une milice d’autodéfense dans les Hauts et Moyens Plateaux de Mitumba. D’autres sont restés au Rwanda afin de participer à la création d’une rébellion banyamulenge devant permettre à l’APR de neutraliser les ex-FAR/Interahamwe et aux Tutsi du Sud-Kivu et du Nord-Kivu d’obtenir la reconnaissance de leur nationalité zaïroise pleine et entière par un nouveau régime à Kinshasa.

184. À partir de juillet 1996, avec le début des opérations d’infiltration des éléments armés banyamulenge/tutsi au Sud-Kivu, la situation des civils banyamulenge et tutsi en général est devenue extrêmement précaire. Après que les FAZ ont intercepté, le 31 août 1996, des militaires rwandais au niveau de Kiringye, à 60 kilomètres au nord d’Uvira, le Commissaire de zone, Shweka Mutabazi, a appelé les jeunes locaux à s’enrôler dans des milices combattantes et a donné l’ordre aux FAZ d’arrêter tous les Banyamulenge et les Tutsi160 vivant dans le territoire d’Uvira.

185. Dans le territoire de Fizi, face au risque d’affrontements au niveau des Moyens et Hauts Plateaux de Mitumba entre les FAZ et les éléments armés banyamulenge/tutsi, plusieurs centaines de civils banyamulenge ont quitté le village de Bibokoboko et ses environs pour se réfugier à Baraka et Lueba. En se mettant ainsi sous la protection des FAZ, ces civils espéraient ne pas être confondus avec les groupes infiltrés.

186. Le 6 octobre 1996, des éléments armés banyamulenge/tutsi auraient tué à Lemera dans le territoire d’Uvira plus d’une trentaine de personnes dont des civils et militaires qui recevaient des soins à l’hôpital local171. Devant l’émotion suscitée par ce massacre, le 8 octobre, le Vice-Gouverneur du Sud-Kivu, Lwabanji Lwasi, a donné aux Tutsi/Banyamulenge une semaine pour quitter définitivement la province sous peine d’être considérés et traités comme des éléments armés infiltrés. Le 10 octobre, le Rwanda a encouragé tous les adultes banyamulenge de sexe masculin à rester au Zaïre et à se battre pour le respect de leurs droits. Simultanément, le Gouverneur du Sud-Kivu, le pasteur Kyembwa Walumona, a demandé à tous les jeunes de la province de s’enrôler dans des milices afin d’épauler les FAZ. 

187. Le 11 octobre 1996, le chef d’état-major général des FAZ, le général Eluki Monga Aundu, a accusé officiellement les Banyamulenge d’attaquer le pays avec l’aide du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi. Le 18 octobre, des éléments armés banyamulenge/tutsi ont lancé une attaque sur Kiliba aussitôt revendiquée par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL).

 

155 Gisaro Muhoza, un député national d’origine tutsi élu du territoire d’Uvira a popularisé ce terme à partir de la fin des années 1960 afin de distinguer les Tutsi installés de longue date au Sud-Kivu, les Banyamulenge, de ceux arrivés à partir des années 1960 comme réfugiés ou immigrés économiques.
Banyamulenge signifie « gens de Mulenge », du nom d’une localité située dans le territoire d’Uvira où les Tutsi sont très nombreux. Il convient de noter cependant que la majorité des habitants de Mulenge ne sont pas des Tutsi mais des Vira. Avec le temps le terme « banyamulenge » a de plus en plus été utilisé pour désigner indifféremment tous les Tutsi zaïrois/congolais.

156 Après l’assassinat, le 21 octobre 1993, à Bujumbura, du Président hutu Melchior Ndadaye, des violences inter-ethniques ont éclaté au Burundi entre les Hutu et les Tutsi. Face à la répression organisée par les Forces armées burundaises (FAB) dominées par les Tutsi, plusieurs dizaines de milliers de Hutu se sont réfugiés au Sud-Kivu entre 1993 et 1995. Dans leur sillage, au cours de l’année 1994, le mouvement hutu burundais du Centre national pour la défense de la démocratie (CNDD) de Léonard Nyangoma et sa branche armée, les Forces pour la défense de la démocratie (FDD) se sont installés dans les territoires d’Uvira et de Fizi. À partir de leurs arrières-bases dans le Sud-Kivu, ils ont lancé plusieurs attaques contre les Forces armées burundaises (FAB). La branche armée du mouvement hutu burundais, le Parti pour la libération du peuple hutu (PALIPEHUTU), les Forces nationales de libération (FNL), a également utilisé le Sud-Kivu comme arrière-base dans sa lutte contre l’armée burundaise.

157 Les ex-FAR/Interahamwe.

158 À partir de 1990, des nombreux jeunes banyamulenge, incertains quant à leur avenir au Zaïre, ainsi que de nombreux jeunes Tutsi désireux de rentrer au Rwanda s’étaient engagés au sein du Front patriotique rwandais (FPR) pour combattre les Forces armées rwandaises (FAR).

159 Entre 1963 et 1965, les Bembe s’étaient engagés massivement dans les rangs de la rébellion muleliste (les Simba) en guerre contre l’armée gouvernementale. Les Banyamulenge avaient à l’inverse rallié le camp de l’armée gouvernementale puis participé à la répression organisée contre les Bembe après la défaite des Simba.

160 Il ne revient pas à l’Équipe Mapping de se prononcer sur la question toujours controversée de la nationalité des Tutsi du Sud-Kivu ni sur celle concernant l’importance numérique respective des Banyamulenge et des Tutsi vivant à l’époque dans cette province. Dans certains cas, l’Équipe Mapping a pu confirmer que les victimes étaient membres des communautés tutsi installées sur les Moyens et Hauts Plateaux et a choisi d’utiliser le nom de «Banyamulenge » pour les désigner. Dans d’autres cas, l’Équipe Mapping a pu établir que les victimes étaient des Tutsi zaïrois/congolais, rwandais ou burundais et a utilisé le nom « Tutsi » dans la suite du texte. Dans la plupart des cas cependant, l’origine exacte des victimes tutsi n’est pas établie et le texte y fait alors référence en les désignant sous le terme de « Banyamulenge/Tutsi ».

171 Voir page 119, note 366.