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Comment est ce qu'il y a eu massacres entre Juillet 1996 – juillet 1998 à (au) Nord-Kivu ?

La marque bleue indique le paragraphe de référence dans le Rapport Mapping

Attaques contre les réfugiés des camps situés sur l’axe Goma-Rutshuru

211. En octobre 1996, le HCR estimait à 717 991 le nombre de réfugiés rwandais présents dans la province du Nord-Kivu. La plupart vivaient dans les cinq camps situés autour de la ville de Goma. Les camps de Kibumba (194 986), Katale (202 566), Kahindo (112 875) se trouvaient sur la route de Rutshuru, au nord de Goma. Les camps de Mugunga (156 115) et lac Vert (49 449) étaient situés sur la route de Sake, à moins de 10 kilomètres à l’ouest de Goma220. Bien que la grande majorité des réfugiés étaient des civils non armés, ces camps servaient également d´arrière-bases aux militaires ex-FAR (particulièrement nombreux dans le camp du lac Vert) et aux miliciens Interahamwe (particulièrement nombreux dans le camp de Katale) pour mener de fréquentes incursions en territoire rwandais221.

212. Tout comme au Sud-Kivu, des éléments infiltrés en provenance du Rwanda auraient attaqué les camps de réfugiés sur l’axe Rutshuru à plusieurs reprises, avant même le début officiel des hostilités.

213. À partir de la mi-octobre 1996, les infiltrations en provenance du Rwanda se sont intensifiées et les militaires de l’AFDL/APR ont commencé à tirer de manière sporadique, à l’arme lourde et à l’arme légère sur les trois camps situés le long de l’axe Goma-Rutshuru224. Le camp de Kibumba, situé à 25 kilomètres au nord de Goma, a été le premier à tomber.

214. Le camp de Katale a également été attaqué dans la nuit du 25 au 26 octobre 1996 par l’AFDL/APR mais les militaires des FAZ/CZCS et les éléments ex-FAR/Interahamwe ont repoussé l’attaque.

215. Après de violents combats avec les militaires FAZ et des éléments ex-FAR/Interahamwe du camp de réfugiés de Katale venus en renfort, les militaires de l’AFDL/APR ont pris le contrôle du camp militaire des FAZ de Rumangabo, situé entre Goma et Rutshuru à proximité de la frontière avec le Rwanda. Le 30 octobre, la plupart des réfugiés des camps de Katale et Kahindo qui se trouvaient à proximité du camp militaire ont commencé à prendre la fuite. Comme les troupes de l’AFDL/APR avaient coupé la route allant vers Goma, certains réfugiés sont partis en direction de Masisi en passant par Tongo tandis que d’autres ont tenté de rejoindre le camp de Mugunga à travers le parc national des Virunga227. Certains réfugiés sont pour leur part restés dans les camps.

216. Au cours de la première semaine suivant l’offensive des militaires de l’AFDL/APR au Nord-Kivu, un petit nombre de réfugiés a choisi de rentrer au Rwanda. Selon le HCR, environ 900 réfugiés ont ainsi traversé la frontière au niveau de Mutura entre le 26 et le 31 octobre 1996229. Les pressions physiques et psychologiques que subissaient les réfugiés de la part des ex-FAR/Interahamwe expliquent, en partie, leur réticence à rentrer au Rwanda. Toutefois, ce refus de rentrer était également lié aux risques encourus lorsque les réfugiés se présentaient spontanément aux militaires de l’AFDL/APR en vue de leur rapatriement. En effet, les militaires de l’AFDL/APR auraient tué de manière délibérée et à plusieurs occasions des réfugiés leur demandant de les aider à rentrer au pays.

217. Il a été impossible de déterminer le nombre de réfugiés tués par les militaires de l’AFDL/APR pendant les attaques menées contre les camps situés le long de la route reliant Goma à Rutshuru. Les chiffres publiés par l’Équipe d’urgence de la biodiversité (EUB), une ONG locale qui a participé, avec l’aide de l’Association des volontaires du Zaïre (ASVOZA) et de la Croix-Rouge du Zaïre à l’inhumation des corps des victimes afin de prévenir d’éventuelles épidémies dans la région, donnent toutefois une idée de l’ampleur des tueries.

218. À la date du 1er novembre 1996, tous les camps de réfugiés entre Goma et Rutshuru avaient été démantelés. Les rescapés de Kibumba se trouvaient dans les environs du camp de Mugunga. Ceux de Kahindo et Katale étaient dispersés à travers le parc national des Virunga. En cherchant à échapper aux équipes d’interception de l’AFDL/APR envoyées dans le parc des Virunga, de nombreux réfugiés ont erré dans la forêt pendant plusieurs semaines et sont morts de soif, faute d’eau potable disponible au niveau de la plaine de lave recouvrant le parc à cet endroit.

219. Les tueries dans les environs des anciens camps de Katale, Kahindo et Kibumba et dans le parc national des Virunga ont continué pendant plusieurs mois235. En février 1997, un témoin a raconté que la population locale découvrait chaque matin de nouveaux cadavres de personnes recemment tuées sur le site de l’ancien camp de réfugiés de Kibumba236.

Attaques contre les réfugiés des camps de Mugunga et lac Vert

220. Après la chute du camp militaire des FAZ de Rumangabo le 29 octobre, les militaires de l’AFDL/APR ont lancé une attaque sur Goma et ont pris le contrôle de la ville le 1er novembre 1996. Pendant quelques jours, les ex-FAR/Interahamwe en provenance des camps de Mugunga et lac Vert ainsi que des groupes armés Mayi-Mayi originaires de Sake ont bloqué les militaires de l’AFDL/APR à 7 kilomètres du camp de Mugunga. Une partie des réfugiés en ont profité pour quitter les camps et se rapprocher de la cité de Sake. Le 12 novembre, cependant, après avoir conclu une alliance avec les Mayi-Mayi locaux, les militaires de l’AFDL/APR ont pris le contrôle des collines entourant Sake et ont encerclé les réfugiés amassés entre le camp de Mugunga et la cité.

221. Dans l’après-midi du 14 novembre, après de violents combats avec les Mayi-Mayi à Sake, les ex-FAR/Interahamwe présents dans le camp de Mugunga ont brisé l’encerclement et pris la fuite en direction de Masisi, entraînant à leur suite de nombreux réfugiés.

222. Le 15 novembre 1996, tandis que le Conseil de sécurité donnait son feu vert à l’envoi d’une force multinationale dans l’est du Zaïre, les militaires de l’AFDL/APR sont entrés dans le camp de Mugunga et ont ordonné aux réfugiés encore présents dans le camp de rentrer au Rwanda240. Entre le 15 et le 19 novembre 1996, plusieurs centaines de milliers de réfugiés ont quitté les camps de Mugunga et du lac Vert et sont rentrés au Rwanda241.

223. De nombreux témoins ont signalé l’existence d’une barrière entre les camps de Mugunga et du lac Vert où les éléments de l’AFDL/APR triaient les réfugiés en fonction de l’âge et du sexe. Les militaires laissaient en général passer les femmes et les enfants ainsi que les personnes âgées. Les hommes adultes étaient, en revanche, très souvent arrêtés et exécutés.

Les tueries dans les environs de Mugunga et du lac Vert ont continué pendant plusieurs semaines. Des rescapés ont raconté que les militaires de l’AFDL/APR les ont attaqués fin novembre 1996 alors qu’ils cherchaient à se faire rapatrier au Rwanda. Certains réfugiés qui sortaient du parc ont été regroupés puis exécutés. Une source a rapporté l’existence de plusieurs fosses communes à l’intérieur du parc situées à 5 kilomètres du camp de Mugunga245.

Attaques contre les réfugiés en fuite à travers le Masisi et le Walikale

Territoire de Masisi

224. Dès le 15 novembre 1996, les militaires de l’AFDL/APR se sont lancés à la poursuite des réfugiés rescapés et des ex-FAR/Interahamwe qui fuyaient à travers le Masisi en direction de la cité de Walikale. Ils ont rattrapé les éléments les moins rapides de la colonne qui s’étaient installés dans des camps provisoires au niveau des villages d’Osso, de Kinigi, de Katoyi (principalement des rescapés de Mugunga et Kibumba), de Kilolirwe, Ngandjo, Nyamitaba, Miandja, Nyaruba, Kirumbu et Kahira (principalement des rescapés de Kahindo et Katale). Au cours de leurs opérations contre les réfugiés, les militaires de l’AFDL/APR ont souvent reçu l’appui des Mayi-Mayi locaux qui souhaitaient ainsi prendre leur revanche sur les groupes armés hutu avec qui ils étaient en guerre depuis plus de trois ans et qui avaient reçu l’aide des ex-FAR/Interahamwe à partir de 1994.

225. Aux alentours du 8 novembre 1996, de nombreux réfugiés, pour la plupart rescapés des camps de Kahindo et Katale, se sont installés dans la collectivité Bashali au nord-est du territoire de Masisi. Vers le 18 novembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR ont attaqué leur camp de fortune situé au niveau de Rukwi. Au cours des semaines et mois, ils ont attaqué et tué un nombre indéterminé de rescapés de ce camp qui tentaient de fuir le territoire.

Territoire de Walikale

226. Les réfugiés rwandais sont arrivés dans le territoire de Walikale en novembre 1996 en empruntant trois axes différents. Un groupe qui venait de Bukavu a atteint le territoire de Walikale en passant par Bunyakiri. Un autre groupe, en provenance également de Bukavu, est passé par la forêt de Kahuzi-Biega via Nyabibwe. Un autre groupe enfin qui avait fui les camps du Nord-Kivu a atteint le territoire de Walikale en passant par le sud du territoire de Masisi et les localités de Busurungi et Biriko. Poursuivis par les militaires de l’AFDL/APR, les retardataires, souvent laissés derrière par les hommes armés, ont été attaqués et tués de manière indiscriminée.

227. Les militaires de l’AFDL/APR qui venaient de Bukavu sont arrivés à Hombo, un village situé à la frontière du Nord-Kivu et Sud-Kivu, aux alentours du 7 décembre 1996. Ils se sont ensuite divisés en plusieurs groupes. Une partie des troupes a continué en direction de la localité de Walikale tandis qu’une d’autre est restée dans la zone afin de traquer les réfugiés. Un troisième groupe est parti à la poursuite des réfugiés en fuite dans le groupement de Walowa-Luanda, au sud-est du territoire de Walikale.

228. À leur arrivée dans le territoire de Walikale, les militaires de l’AFDL/APR ont organisé des réunions publiques à l’attention de la population zaïroise. Au cours de ces réunions, ils ont accusé les réfugiés hutu d’être collectivement responsables du génocide des Tutsi au Rwanda. Ils ont aussi affirmé que les réfugiés projetaient de commettre un génocide contre les populations civiles zaïroises de la région. Dans leurs discours, ils comparaient souvent les réfugiés à des « cochons » saccageant les champs des villageois. Ils demandaient aussi souvent aux Zaïrois de les aider à les débusquer et à les tuer. Selon plusieurs sources, le terme « cochons » était le nom de code utilisé par les troupes de l’AFDL/APR pour parler des réfugiés hutu rwandais. Lorsque les militaires de l’AFDL/APR interdisaient aux Zaïrois d’accéder à certains sites d’exécution, ils leur disaient qu’ils étaient en train de « tuer des cochons »254.

229. Dans cette région, les massacres ont été organisés selon un schéma quasi identique, de façon à tuer un maximum de victimes. À chaque fois qu’ils repéraient une grande concentration de réfugiés, les militaires de l’AFDL/APR tiraient sur eux de manière indiscriminée à l’arme lourde et à l’arme légère. Ils promettaient ensuite aux rescapés de les aider à rentrer au Rwanda. Après les avoir rassemblés sous différents prétextes, ils les tuaient le plus souvent à coups de marteau ou de houe. Ceux qui tentaient de fuir étaient tués par balles. Plusieurs témoins ont affirmé qu’en 1999, des militaires de l’APR/ANC255 se seraient rendus spécialement sur les sites de plusieurs massacres afin de déterrer les corps et de brûler les cadavres256.

230. Lorsque les militaires de l’AFDL/APR ont pris le contrôle de la route asphaltée entre Hombo et Walikale, les réfugiés rwandais qui n’étaient pas encore arrivés sur la grande route entre Bukavu et Walikale ont dû rebrousser chemin en direction de Masisi. La plupart se sont installés provisoirement dans le village de Biriko du groupement de Walowa-Luanda.

231. Au cours des jours suivants, les militaires de l’AFDL/APR ont poursuivi leur traque, attaquant des réfugiés dans les villages de Kilambo, Busurungi (colline Bikoyi Koyi), Nyamimba et Kifuruka situés dans le groupement de Walowa-Luanda du territoire de Walikale.

232. Pendant que certaines unités de l’AFDL/APR commettaient ces massacres dans le groupement de Walowa-Luanda, d’autres ont continué leur progression vers le chef-lieu du territoire, Walikale.

233. Un système d’exécution a été mis en place dans les environs d’Itebero où, à partir de décembre 1996, des unités spéciales de l’AFDL/APR se sont mises à traquer de manière systématique les réfugiés.

234. Aux alentours du 16 décembre 1996, les militaires de l’AFDL/APR sont arrivés à Walikale-centre.

235. Un autre groupe de réfugiés rwandais en provenance de Masisi a rejoint, en décembre 1996, le territoire de Walikale en passant par un sentier forestier reliant le village de Ntoto à celui de Ngora, situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Walikale centre. Après la prise de Walikale par les forces de l’AFDL/APR, ces réfugiés ainsi que des ex-FAR/Interahamwe ont tenté de se cacher dans le village de Kariki en s’installant dans une entreprise de pisciculture abandonnée située sur le sentier entre les villages de Ntoto et Ngora.

 

220 Office of the Regional Special Envoy of UNHCR, Kigali, Rwanda, Zaïre: « UNHCR population Statistics as of 26 September 1996 ».

221 Degni-Ségui estimait le nombre d’éléments ex-FAR dans les camps du Zaïre à 16 000; voir Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda soumis par René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme (E/CN.4/1995/12).

224 Reuters, « UN: East Zaïre Troubles Spread », 21 octobre 1996.

227 Reuters, « UN Says 115,000 Refugees Flee Camp in Zaïre », 31 octobre 1996.

229 IRIN, « Emergency Update No. 1 on Kivu, Zaïre », 30 octobre 1996.

235 Rapport sur la situation des droits de l’homme au Zaïre (E/CN.4/1997/6/Add.2), p. 7 et 8; OIJ, « Recueil de témoignages sur les crimes commis dans l'ex-Zaïre depuis octobre 1996 », septembre 1997, p. 12-13.

236 Colette Braeckman, « Ces cadavres dans le sillage des rebelles », Le Soir, 26 février 1997.

245 Témoignages recueillis par l’Équipe d’enquête du Secrétaire général en 1997/1998; AZADHO, « Existence des charniers et fosses communes », mars 1997.

254 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008.

255 Armée nationale congolaise, la branche armée du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), mouvement politico-militaire créé en août 1998.

256 Entretiens avec l’Équipe Mapping, Nord-Kivu, décembre 2008.